Lire les Essais dans une édition du seizième siècle

Conseils pour lire une édition ancienne

La Ponctuation des Essais

Quelques difficultés de la langue des Essais


Conseils pour lire une édition ancienne

 Une lecture à haute voix peut souvent pallier les difficultés de l'orthographe…

• le "s" se ressemble parfois au "f" moderne — par exemple: "ce deffin".

• le "y" se substitue souvent à un "i" — par exemple: "soy mesmes".

• "s" tient souvent une place marquée aujourd'hui par un circonflexe "^" ou un aiguë "´" — par exemple: "mesmes" pour "mêmes"; "escrire" pour "écrire".

• le "j" ne se distingue pas toujours du "i" — par exemple: "suiet" pour "sujet".

• les "u" et les "v" se confondent: on met "u" à la place de "v" à l'intérieur d'un mot, et "v" à la place de "u" à l'extérieur — par exemple: "aduoue" pour "advoue"; "vn" pour "un".

• les "s" "z" et "x" peuvent se confondre — par exemple: "fameus" pour "fameux"; "baze" pour "base"; "aus" pour "aux".

• la préposition "à" ne se distingue pas toujours de la conjugaison du verbe avoir, "a".

 Abréviations

• un tilde "~" au-dessus d'une voyelle marque sa nasalisation — par exemple: "bi + ~" = bien, "o + ~" = on.

• "no'" = nous, nostre ; "pl'" = plus ; "q + ~" ou "q_" = que

 Prononciation historique du français du XVIe siècle

• notre "ai" et notre "ei" se prononcent encore comme "oi" à l’époque — c’est-à-dire, à peu près come le mot anglais “way”: par exemple: "seroit" pour "serait"; "cognoissance" pour "connaissance".

 Vers 1560, Estienne Pasquier écrit à M. de Kerquifinen, Seigneur d'Ardivilliers:

"…j'estime qu'il n'y a lieu où nostre langage soit plus corrompue [qu'à la cour]. De cecy la raison est bonne. Car comme ainsi soit que nostre langage symbolise ordinairement avec nos moeurs, aussi le courtisan au milieu des biens et de la grandeur, estant nourry à la mollesse, vous voyez qu'il a transformé la pureté de nostre langage en une Grammaire toute effeminée, quand au lieu de Roine, alloit, tenoit, et venoit, il dict maintenant, Reine, allet, tenet et venet."

Christophe Penfentenyou de Cheffontaines:

"[…] te priant, cependant, d'excuser le tout, et l'ineloquence du langage, considerant que c'est un Breton Bretonnant qui parle, auquel le langage Françoys est estranger" Chrestienne Confutation du poinct d'honneur, sur lequel la noblesse fonde aujourd'huy ses querelles et monomachies (Paris: P. L'Huilllier, 1571), c3r.


A consulter:

Alton, Jeannine, and Jeffery, Brian, Bele buche e bele parleure: A Guide to the Pronunciation of Medieval and Renaissance French for Singers and Others (London: Tecla Editions, 1976).

McGee, Tim, Singing Early Music (Bloomington, IN: Indiana UP, 1996).
        Covers all the major linguistic areas with an essay, guides to pronunciation, diachronic charts of pronunciation changes over  time, and sample texts with IPA versions and a CD of the texts being read.

Bizer, Marc, (University of Texas), Petit guide de la langue du XVIe siècle ("le moyen français")

Ecoutez les enregistrements (extraits) de l’Heptaméron  (6e, 11e, 20e, 40e et 60e nouvelles) de Marguerite de Navarre et quelques poèmes de Clément Marot sur la page multimedia de Renaissance-France.org.

Consultez la bibliographie pour la prononciation historique de l'anglais de la renaissance: Other Accents: Some Problems with Identifying Elizabethan Pronunciation


La Ponctuation des Essais

Je ne me mesle ny d'orthografe, et ordonne seulement que [les imprimeurs] suivent l'ancienne, ny de la punctuation: je suis peu expert en l'un et en l'autre (III.9.965b).

Pourtant, voici des conseils que Montaigne donne à l'imprimeur sur la page de garde de l'exemplaire de Bordeaux :

regarder de pres aus pouints qui sont en ce stile de grande importance…
c'est un language coupé
qu'il n'y espargne les poincts et lettres majuscules.
Moi mesme ai failli souvent à les oster et à mettre des comma [= " : "] où il faloit un poinct.

PONCTUATION AJOUTEE PAR L'EDITEUR MODERNE : des guillemets [«»], des traits [— —], et dans la plupart des cas, des parenthèses [( )]. Sont aussi suppléés par l'éditeur moderne les blancs, et toutes les alinéas sauf celles que l'on trouve voici: I.47.282-5a, les dédicaces à Mme. d'Estissac (II.8.386a) et à Mme. de Duras (II.37.783a & 785a), et le début de la bulle romaine dans "De la vanité" (III.9.999b). Au sujet des paragraphes ajoutés par les éditeurs modernes à contre-sens, voir B. Croquette, «Les essais mis en pièces», Cahiers Textuel 34/44, "Montaigne, les derniers essais" 2 (1986), 9-18.

PROBLÈME SPÉCIAL: LA PONCTUATION DES ADDITIONS: Soit cette phrase prise de l'édition Villey-Saulnier: "[A]…les conditions contrainctes de nos mariages; [C] et la plupart ont voulu les femmes communes et sans obligation. [A]Ils refusoient nos ceremonies…". Le point-virgule (";"), étant mis évidemment par Montaigne au moment où il écrivait l'addition, devrait plus précisément se placer après la marque "[C]" de l'addition.

LA PONCTUATION DE MONTAIGNE: Le pause grammatical le plus fort, utilisé par Montaigne surtout dans ses corrections manuscrites de 1588-92, c'est:

ensuite:

. + majuscule

: + majuscule

: sans majuscule

; + majuscule

; sans majuscule

,

Remarques sur l'histoire de la ponctuation au seizième siècle

Les révisions de ponctuation que l'on trouve dans les éditions successives de Rabelais suggèrent qu'avant 1540 on regardait la virgule comme à peu près l'équivalent du "comma" [:]. Ensuite, le traité d'Étienne Dolet, La Maniere de bien traduire d'une langue en aultre; d'avantage de la ponctuation de la langue Francoyse (1542, Gordon 1542 .D65), semble conduire à un usage plus étendu de la virgule. M. Huchon, "Pour une histoire de la ponctuation," Nouvelle revue du seizième siècle, 6 (1988).

"Le premier caractere est appellé en latin Incisum ou semi circulus, et en françoise virgule: et souloir anciennement estre marqué ainsi _ . Il sert pour separer les mots, et simples sentences d'une matiere. Le second est appellé Comma, tant par les Grecs que Latins, et sert à separer les fermes sentences d'une matiere. Le tiers est nommé Colon par les Grecs, et en latin punctum, et en françoise point rond, demonstrant la fin de quelque matiere," Pierre Habert, Le Moyen de promptement et facilement apprendre en lettre françoise, à bien lire, prononcer et écrire (Paris: R. Granjon, 1559).


Quelques difficultés de la langue des Essais

Le français des Essais, et plus généralement du XVIe siècle, est une langue en transition à une époque où les dialectes de diverses régions se confrontent et se contaminent avant de s'unir en une langue "nationale": Montaigne lui-même estime qu'il parle gascon, non pas français.

a (à): à, par, pour, de, dans, vers avec
à l'aventure: peut-être
a l'on: l'on a
a même que: à mesure que
à sa poste: à sa guise
à tout, atout, atout: avec
abouchement: entrevue
accident: événement fortuit
admiration: étonnement
affection: intérêt passionné
ains ou ainçois: mais au contraire
ainsi que: tandis que
amuser (s'-) à: s'occuper à
apparent: évident
appréhension: action de saisir vivement
ars(e): brûlé(e)
art: technique; artiste: technicien, spécialiste
asteure: à cette heure
avoir faute de: manquer de
au demeurant: au reste, pour ce qui en reste
au prix de: en comparaison de
aucun: quelque, quelqu'un
aucunement: singulièrement, quelque peu
autant, d'autant que: parce que
bander (s'-): se roidir
baster: suffire
branle: mouvement
braverie: audace
brutalité: stupidité
caresser: flatter
casuel: occasionnel, fortuit
chagrin: mauvaise humeur
chaut (il ne-): il n'importe
chef: tête; chapitre
cœur: comporte souvent un sens de «courage», qui d'ailleurs en dérive
combien que: bien que
comme: comment
composer: traiter, négocier
condition: rang social (sans connotation existentielle)
conduite: gestion, négociation
conférer: controverser; comparer
conseil: décision
constamment: avec constance
consultation: délibération
contention: tension, effort
cuider: croire (par erreur ou orgueil)
cures: soucis
curieusement: avec soin
décevoir: tromper
déduction: récit
dénouer: expliquer
discourir: examiner, juger; discours: délibération rationnelle
discrétion: discernement
divers: opposé
divertir: détourner
du tout: tout à fait
duire: habituer
ébranler: mettre en mouvement
embesogner: occuper
emmi: parmi
ému: mis en mouvement; agité
en bon escient: sérieusement, à vrai dire
en dire trop: ne pas assez dire
énerver: paralyser
ennuyer (s'-): éprouver un désagrément
énorme: hors normes
es: en les
escient: à escient : consciemment ; à bon escient: sérieusement, vraiment
essai, essayer: goûter, tester, expérimenter, exercer
et quand ce seroit: (valeur conditionnelle) même si
et si: et pourtant (parfois: et ainsi)
étonner: effarer
fantaisie: imagination
fiance: confiance
finer: acquérir, se procurer
finesse: ruse
forme: au sens aristotélicien de ce qui confère un caractère sur la matière; à rapporter donc au contenu au lieu de l'y opposer
fortune: sort, hasard
franchise: liberté, indépendance, exonération d'impôts
furieux: fou, effréné
gendarme: homme d'armes, le plus souvent de la cavalerie lourde
gêne: torture
généreux: noble, de bonne race
gentil: noble, gracieux, distingué
gentiment: élégamment
gestes: actions, exploits
gloire: souvent dans un sens négatif d'orgueil
gorgias: élégant
gourmander: maîtriser, réprimander
grief: douloureux
guerdon: récompense
guère: beaucoup
hanter: fréquenter
heur, bon heur: chance
honnête: conforme à l'honneur, convenable; honnêteté: souci de l'honneur
impatient: incapable de supporter
importable: insupportable
impost: impotent
improvidence: imprudence
imprudence: irréflexion
incurieusement: sans soin, sans souci
indiscret: sans discernement
industrie: habilité
injure: un tort ou dommage subi
intelligence: accord, entente, connivence
institution: éducation, règle
jointement: adéquatement
journal: quotidien
mais: en plus, même, mais encore, "Je n'en peux mais" = je n'en peux pas plus
mais que: pourvu que
médiocrement: moyennement (sans un sens péjoratif nécessaire)
ménagerie: économie domestique
meshui: désormais
mignon: favori
ministre: agent
monstre: prodige ; monstrueux: extraordinaire
moyenner: procurer
naïf: naturel, spontané
nouveauté: innovation, surtout dans la politique ou la religion, avec une connotation négative
nouvelleté: faits divers, ce qui est neuf dans la mode culturelle, portant souvent une connotation positive
onc, onques, oncques: jamais
ord: sale
ore(s)… ore(s): tantôt… tantôt…; ores que: maintenant que
parlement: pourparlers
patience: endurance
pièça: depuis longtemps
plus: (parfois superlatif) le plus, les plus
poindre: piquer
police: organisation politique, gouvernement
pourtant: par conséquent, c'est pourquoi
pourtant que: parce que
préceller: être supérieur
produire: exposer, exhiber
progrès: processus, démarche, méthode
prou: assez
puis que: depuis que, dès que
quand et quand: en même temps que, également
quant et: avec
quat et quant: à la fois
quoi, que… ?: que dire de ceci que
rabattre: réfuter
race: lignée, dynastie
raconter: compter
racontrer: faire des plaisanteries
ramentevoir: remémorer
recordation: souvenir
rencontrer: tomber juste, réussir
rêver: délirer
révolution: changement ou mouvement cyclique
rude:inexpérimenté
satisfaction: réparation
sentiment: perception ou sensation (n'implique pas un engagement émotif)
seulement: (parfois pléonastique) même
si: ainsi; (parfois au sens causal) en conséquence, par suite; (parfois au sens affirmatif) vraiment, à vrai dire; (parfois au sens restrictif) toutefois, néanmoins, pourtant
si est-ce que: pourtant, toutefois, cependant
si que: de sorte que, de telle sorte que
souloir: avoir coutume de
succéder: réussir
suffisance: (sans valeur péjorative) capacité
suffisant: (sans valeur péjorative) habile, capable
tant y a: toujours est-il
test: crâne
tourbe: foule
travailler: tourmenter
trampe: disposition
trestous: tous ensemble
vaguer: errer
viandes: aliments
voirement: vraiment
volubilité: mobilité


Materials on this page were generously contributed by George Hoffmann, University of Michigan (2004).